Créé en 1987 à l’Esplanade (ex-Maison de la Culture) de Saint-Etienne, le Festival des Musiques Innovatrices, donne chaque année à découvrir un choix de pratiques et d’émergences musicales issues d’un champ qui depuis plus de trente ans ne cesse de s’élargir.
L’événement rejoint, dix ans plus tard, Art dans la Ville, manifestation proposant une multitude d’expositions et d’installations en des lieux du tissu industriel stéphanois (friches, galeries alternatives, ateliers d’artistes, espaces singuliers).
Cette année Art dans la Ville fait une pause. Troisième époque, nouveau tournant : cette 16e édition (16 concerts) redevient sédentaire et prend ses marques dans un des plus beaux lieux de la ville auquel elle rend malgré tout visite depuis 1997.
Encore chargé d’un passé de travail, foncièrement a-culturel, mais paradoxalement aussi signifiant que réceptif à ce qu’on y propose, le Musée de la Mine sera, l'espace d’un long week-end, le centre des recherches sonores contemporaines les plus irréductibles.
Que les compositeurs ou les ensembles invités viennent du domaine composé ou improvisé, les Musiques Innovatrices engageront avec le spectateur une relation basée sur l'émotion, la dissidence ou l'anticonformisme, loin des sentiers battus, à l'image d’Ornitoto l’ornithorynque, mascotte du festival.

Bruno Meillier

Le gros problème avec l’ornithorynque n’est pas tant qu’il se réveille la nuit avec des cris stridents mais plutôt qu’il ne puisse s’empêcher de baver quand lui poussent des dents. En vérité s’il ne possède pas encore le langage, il sait fort bien se faire comprendre en poussant maints petits glapissements. Ses pattes antérieures sont agitées de légers mouvements désordonnés qu’il tente de synchroniser tout en dressant ses postérieurs à la verticale vers on ne sait quels cieux car comme la tortue, si on le pose sur le dos, il ne peut ni se retourner ni s’alimenter. De la musique, il sait en faire, bien entendu, avec toutes les parties de son corps qu’il utilise à sa guise, s’instrumentalisant à tout va !

Jean-Claude Paillasson

Aussi à l’aise dans la verve et la volubilité de l’improvisation que dans une approche classique plus posée, l’accordéoniste et chanteuse de St Petersbourg EVELYN PETROVA est en passe de devenir la coqueluche de bon nombre de festivals qui se l’arracheront comme ils se sont arrachés SAINKHO NAMTCHYLAK et IVA BITTOVA avant elle. Nous saisissons pour l’heure l’opportunité d’une de ses rares venues à l’Ouest et sommes heureux de vous la faire découvrir. Tendre, ensorcelant, universel son chant puissant parle au cœur de chacun

À écouter Year’s Cycle (Leo Records/Orkhêstra)

Des sons s’entrecroisent, s’interpellent, font des questions-réponses ou du coq-à-l’âne. Par une refonte incessante de matières en un chaudron d’où s’évaporent bribes de sons et micro évènements, toutes textures acoustiques et électroniques mêlées, nos trois sorcières bien-aimées, fortes d’une écoute mutuelle attentive, nourrissent de façon aussi originale qu’inédite le flux musical.

À écouter Black Narcissus, Entomological Reflections (Tzadik/Orkhêstra)

B R OAD WAY est né de la rencontre de JAN et GIO à la Fabrique, espace de concerts et de résidences, dont chaque ville de l’Hexagone devrait, sur le modèle d’Andrézieux-Bouthéon, se doter. Le groupe, tout en évoluant d’un courant expérimental bruitiste vers un post-rock imagé qui mixe voix murmurantes, samples et bzz bzz de mouches, s’est récemment adjoint les services d’un chanteur pop et d’un “v-jayeur”. Un remix vidéo questionnant le rôle de l’image dans le monde d’aujourd’hui est projeté en interaction avec le concert.

À écouter 06:06 am (Facto Records/Venus)

Dans Vomvos, œuvre pour violoncelle et vidéo, créée à Fruits de Mhère l’an dernier, le musicien tend sur la base d’un aller-retour d’archet en continu un câble de fibres, colorisant, ici et là, d’un filet de timbre, puis d’un autre jusqu’à l’accord idéal qui infiltre l’espace et étire le temps. NIKOS VELIOTIS (interprète de LACHENMANN ou XENAKIS comme improvisateur avec MARTIN TETREAULT ou FRED VAN HOVE) exerce par cet effet de ralenti sur images une séduction proche des compositions de MORTON FELDMAN et nous plonge dans une attitude de rêve éveillé.

À écouter Texturizer (Antifrost)

Remarqué par LA MONTE YOUNG ou THURSTON MOORE (qui le considère comme « le guitariste le plus explosé au monde ») DONALD MILLER est avant tout la partie 6 cordes du trio jusqu’au boutiste BORBETOMAGUS. Guitare jouée à plat, bottle-neck, objets intercalés entre les cordes, sa technique est faite de ces modes obliques qui font se rejoindre dans un don de soi et une dépense d’énergie totale l’improvisation bruitiste et le blues du delta.

À écouter Little Treatise on Morals (Audible Hiss), Schade, schade – zu spät ! Blues (A Bruit Secret/Métamkine)

Clou du festival Mimi l’été dernier, l’OTOMO NEW JAZZ ENSEMBLE n’en finira pas de nous surprendre. En témoigne cette nouvelle métamorphose version octette (à noter le retour du saxophoniste ALFRED HARTH, invité des 1e Musiques Innovatrices en 87). OTOMO, plus connu pour ses courts-jus envenimés que pour ses talents guitaristiques (il n’empêche), et ses yakuza s’en prennent aux thèmes sacro-saints de la New Thing revisitant DOLPHY, ORNETTE, les deux CHARLIE (MINGUS et HADEN) et JAMES BLOOD ULMER. Ca grince, ça chuinte, ça siffle et pourtant “ça” joue, de quoi énerver plus d’un “expert” en la matière qui s’empêtrera dans ce velours moelleux hérissé de pointes. Banzaï ! Grâce à des sursauts épileptiques de cette trempe, le jazz ne sera pas mort et enterré de sitôt.

À écouter Tails Out, ONJQ + OE Live (DIW/Orkhêstra), Flutter, Dreams (Tzadik/Orkhêstra)

Une guitare, branchée sur quatre amplis et une batterie décharnée suffisent au duo nantais pour créer des masses sonores amples et organiques. Proches de l'école de Chicago (US MAPLE, SHELLAC, JESUS LIZARD, etc), qui réussit depuis plus d’une dizaine d’années à insuffler un élan neuf à ce genre moribond créé en 1956 vulgairement appelé rock n’ roll, les deux membres de CHEVREUIL érigent à grands renforts de riffs énergiques et enchevêtrés un univers claustro-phonique sonnant et percutant.

À écouter Sport (Ruminance/Chronowax)

UTAH KAWASAKI et JEAN-PHILIPPE GROSS se sont rencontrés par l’intermédiaire du label A Bruit Secret. ALEXANDRE BELLENGER (fondateur d’ARR, autre excellent label) les rejoint ici dans une formule à trois qui exploite les perversions et autres manières de jouer à contre sens des machines. Ainsi chaque manipulateur détourne les usages des tables de mixage, platines et synthétiseur analogique pour mieux plonger l’auditeur dans un bain de matières granuleuses étalées à l’infini.

Révélation du festival Mutek de Montréal, PHILIPPE CAM est le créateur d’une musique sensuelle à mille lieues des bpm plombantes et autres marteaux piqueurs de la scène électro. Préoccupé par « le besoin d’établir, grâce à la musique, un lien entre le ventre et la tête », cet ancien marin insuffle à ses compositions un groove subtil comme « en apesanteur », échafaudé sur des séquences mutines et entêtantes, en droite descendance de celles de MANUEL GöTTSHING ou THOMAS BRINKMANN.

À écouter Balance (Traum/Kompakt)

Ses interprétations vont de CAGE à RILEY mais c’est surtout MORTON FELDMAN dont JOHN TILBURY, ancien élève, s’est fait le « spécialiste » en enregistrant l’intégrale des œuvres pour piano. Une métrique changeante et les répétitions de phrases disloquées que découpent de longs silences sont les caractéristiques majeures de For Bunita Marcus, œuvre que le compositeur écrit peu de temps avant sa mort. Magie d’un temps suspendu, ces résonances des intervalles feldmaniens (neuvième bémol ?) égrénés par le pianiste d’AMM hanteront pendant longtemps les galeries du Musée de la Mine.

Originaire d‘Oita, ville située sur l’île de Kyu-shu, KATSURA YAMAUCHI, saxophoniste amateur depuis plus de 20 ans vient de passer professionnel. Sa musique solo construite d’épures de souffles et d’arpèges nous fait de prime abord penser à de vulgaires exercices de chauffe sur l’instrument. Mais l’impression s’estompe vite tant on reconnaît une démarche artistique propre sans équivalence aucune chez les autres saxophonistes franc-tireurs. À découvrir.

À écouter Salmo Sax (SFA)

Partenaire de KIM GORDON, CHRISTIAN MARCLAY, JOHN ZORN, TOSHIMARU NAKAMURA ou JIM O'ROURKE, le percussionniste TIM BARNES déclenche avec un art consommé de la retenue toute une myriade d'évènements sonores s'imbriquant les uns dans les autres. Cet effet de pointillisme, généré autant par le geste musical que par l'acte sonore, nous fait penser à un paysage s’estompant peu à peu depuis la lunette arrière d’une voiture. Délicat et sensible.

À écouter All Acoustics (Quakebasket/Métamkine)

Par des préparations sur l’instrument ou des recherches de couleurs neuves, OLIVIER BENOIT et SOPHIE AGNEL accèdent à ce niveau de complicité rare qui repose sur la volonté partagée de ne pas se suffire d’un bon moment ou d’une musique agréable. Il se passe alors ce qu’on attend de la musique dite improvisée, dans sa plus belle expression : une conscience simultanée à l’acte de production sonore de la position passive de l’auditeur qui, lui, écoute et se plaît soudain à être surpris, étonné.

À écouter Rip-Stop (In Situ/Orkhêstra)

Créé en 99 au Festival Musique Action, ce trio pratique un art de la respiration (tuyaux, bronches, poumons, pavillons) jumelé à celui de la conversation (discours improvisé, mise en espace des sons). La virtuosité des trois interprètes – ils se sont déjà produits ici séparément sous d’autres formules – s’efface naturellement au profit de matières de vents et de fluides, d’embouchures soumises à la pression du souffle et de tubes dans lesquels la salive s’écoule, entre air et eau, très exactement.

À écouter The Contest of Pleasures (Potlach/Chronowax)

On était resté sous le choc de la première venue de MICHAEL VORFELD en 2002 à Saint-Etienne. Le plasticien allemand raccordera cette fois une installation lumineuse à son nouveau solo de percussion. Nous ne doutons pas un seul instant que le cadre fantasmagorique des salles du Musée de la Mine fournira un décor on ne peut plus propice à ce final « son et lumières » de rêve.

À écouter Von Wellen und Anderen Teilchen (Nurnichtnur/Metamkine)